Article publié originellement dans Marianne – Auteur : Yves Michalon
Le choc et l’émotion passés, il est temps, les yeux secs, de vous parler de Laura, ou Coralie comme elle avait choisi d’exister. La première image qui me vient quand je pense à Coralie est, de pair avec son immense talent, sa très grande discrétion. Elle n’était pas du tout à l’aise à l’idée de se montrer à la télévision, toute protégée qu’elle était par son pseudonyme, à l’image de ce jour où, après de longues discussions, elle avait finalement accepté de passer dans l’émission de Frédéric Taddeï, Ce soir (ou jamais !), où tendue comme un arc, elle avait fini par surmonter son trac. Le plus drôle, et nous avions beaucoup ri, a été le lendemain quand son supérieur hiérarchique lui avait dit : « Au fait, Laura, c’est surprenant mais j’ai vu hier soir à la télévision une fille qui vous ressemblait beaucoup, vous l’avez vue ? » Et Coralie de répondre du tac au tac : « Ah non, vous savez, je n’ai pas la télévision chez moi. » Et c’était vrai ! Pas besoin d’être distraite par la télévision alors qu’il suffit de lire, beaucoup lire, à l’affût de ce qui pourrait nourrir sa pensée et son blog.
Coralie, il nous fallait sans cesse la rassurer : « Mais si Coralie, tu sauras faire, vas-y, ne te pose pas tant de questions, tu sauras faire. » Elle faisait et le texte abouti, prêt à être imprimé, de nouvelles interrogations : « Mais vous croyez que ça va intéresser quelqu’un ? » Toujours ce doute qui jamais ne l’aura quittée en dépit de la finesse et la pertinence de ses analyses. Coralie, c’est aussi une fidélité exemplaire nourrie de quelques rares confidences, comme le jour où elle nous apprend sa passion pour la boxe alors que nous nous inquiétons de sa relative solitude. Plus récemment, alors qu’une certaine lassitude transpirait, c’était un besoin clairement exprimé de faire autre chose, rompre sa solitude et, balayant le champ du possible, d’y renoncer : « Je ne sais rien faire d’autre. » Elle aura un temps eu la bonne idée d’échanger avec David Cayla et nous nous sommes dit que cela la soulagerait, déchargée qu’elle pensait d’assurer la promotion de son travail. C’était sans compter sur sa notoriété et l’excellence de sa réputation et la voilà à nouveau mal à l’aise, ne voulant pas accaparer la parole et préférant laisser la place à son co-auteur ami.
Coralie, tu vas beaucoup nous manquer, c’est certain. Puisse ton départ enfin t’apaiser et les très nombreux témoignages qui auront honoré ta brutale disparition te rassurer. Oui, tu étais légitime, oui tu étais lue et appréciée à hauteur de ce que tu étais : une intellectuelle courageuse, universellement et unanimement respectée, quels que soient ton public et tes engagements, pour ce que tu étais : une jeune femme libre, douée, réservée, d’une grande intelligence et d’une humanité exemplaire. Coralie, si nous pleurons ta disparition, nous ne manquerons pas avec tes amis au devoir de faire vivre ton œuvre. Elle te survivra sans aucun doute, pour notre bien commun à tous. À bientôt Coralie, ton téléphone à bas coût, made in China ne répondra plus et c’est, avec une infinie tristesse, que nous adressons, à toi et à toute ta famille un message d’amour et de reconnaissance infinie.