Article originellement prévu dans Marianne le 2/09/2019
Dans le Brandebourg comme en Saxe, l’AfD n’arrive pas en tête, ce qui était son objectif. Mais elle se classe systématiquement deuxième et surtout, son score explose avec respectivement 23,5% et 27,5% des suffrages aux élections régionales dans ces deux Länder d’ex-Allemagne de l’Est ce dimanche 1er septembre. De tels résultats étaient prévisibles et attendus mais posent la question plus vaste de la réunification et de ses effets.
La réunification en toile de fond
A l’Est, cette mémoire reste aussi douloureuse que le processus unificateur fut brutal. L’unification monétaire précoce décidée par Helmut Kohl, par exemple, et l’introduction du Deutschemark en ex-RDA contre l’avis du banquier central de l’époque, Karl-Otto Pöhl (qui finit par démissionner), a représenté un choc violent pour l’économie de la zone, en particulier pour son industrie, dont une partie aurait sans doute pu être sauvée.
L’œuvre de la Treuhand, ensuite, cette structure créée pour privatiser à tour de bras (et dont l’action a largement inspiré l’œuvre de la Troïka européenne en Grèce) fut perçue comme un dépeçage en règle. La mise au rancard systématique des élites de l’ancienne République démocratique, enfin, généra un sentiment d’humiliation et d’injustice.
Rien ne fertilise plus sûrement l’extrême droite que le sentiment d’humiliation, l’orgueil blessé et le sentiment d’être nié dans son identité
Auteur d’un livre au titre provocateur, Le second Anschluss – l’annexion de la RDA (édition Delga, 2015), l’économiste italien Vladimiro Giacchè explique par exemple : « L’élite, non seulement politique mais aussi scientifique et culturelle de l’ex-RDA, a été complètement évincée. Aujourd’hui encore, rares sont les professeurs des universités enseignant à l’Est qui ne proviennent pas de l’Ouest. Dans la magistrature et dans l’armée, la proportion des « Ossies » est quasi nulle. Tous les instituts et les académies de l’Est ont été liquidés en un temps record (…) Ces pratiques ont évidemment contribué à engendrer dans une large frange de la population d’ex-Allemagne de l’Est, la sensation d’avoir été colonisée, et de voir mise en cause sa propre identité. ».
Or rien, sans doute, ne fertilise plus sûrement l’extrême droite que le sentiment d’humiliation, l’orgueil blessé et le sentiment d’être nié dans son identité. D’autant qu’à cela, il convient d’ajouter les choix qui ont été faits par Angela Merkel en matière migratoire et qui ont conduit à l’entrée de plus d’un million et demi de personnes en Allemagne en 2015-2016 dans le cadre de la « crise des migrants ». La chancelière voulait notamment répondre au défi démographique du vieillissement, mais sans s’aviser qu’une population âgée est d’autant moins apte à « digérer » un gros afflux migratoire. Il convient enfin d’ajouter que le rattrapage économique de l’Allemagne de l’Est est loin d’être achevé. Même s’il est faible dans tout le pays, le chômage est plus élevé à l’Est. Surtout, les salaires plus bas. Une récente étude montre qu’en Saxe et dans le Brandebourg, les salaires sont inférieurs de 20% à la moyenne nationale.
L’ensemble de ces ingrédients font qu’Alternative für Deutschland est sans doute appelée à durer à l’Est de l’Allemagne, malgré les outrances de certains de ses cadres et leur passé trouble (Andreas Kalbitz, la tête de liste du parti dans le Brandebourg, a dû admettre s’être rendu à un rassemblement néo-nazi en Grèce en 2007). Pour l’heure, l’AfD ne participera toutefois à aucun exécutif local puisque aucun autre parti ne souhaite faire alliance avec lui.
Qui gouvernera les deux Länder ?
Bien qu’elle cède du terrain, la CDU demeure le premier parti de Saxe avec 32% des voix (-7 points), cependant que le SPD réalise une contre-performance spectaculaire (moins de 8%). Alors que la CDU et le SPD gouvernent ensemble à l’échelon national, que des coalitions CDU/Verts existent dans certains Länder, le Land pourrait se doter d’une coalition noir-vert-rouge (ces trois couleurs étant les couleurs respectives de la CDU, des Verts et du SPD).
Dans le Brandebourg, c’est le SPD qui arrive en tête avec 26,2% des voix (mais avec -6 points par rapport à 2014). L’actuelle coalition « de gauche » (SPD et Die Linke) manque de sièges pour maintenir la coalition actuelle et les deux partis de gauche devront s’associer à une troisième formation (probablement Les Verts) pour former une coalition « rouge-vert-noir ».
Le grand perdant du double scrutin reste le parti de gauche radicale Die Linke (un score divisé pratiquement par deux en Saxe entre 2014 et 2019).Ce partidisputait jusqu’alors à l’AfD le rôle de recours pour les électeurs n’ayant plus confiance dans les deux grands partis de gouvernement. Voilà l’AfD avec le monopole de la contestation à l’Est…