« L’absence de médiatisation du RIP sur ADP est purement déloyale »

Entretien originellement publié sur Marianne le 1/09/2019

Marianne : Avec un collectif, vous venez de saisir le Conseil constitutionnel au sujet du référendum d’initiative partagée (RIP) sur la privatisation du groupe Aéroports de Paris (ADP). Vous considérez que le pluralisme n’est pas assuré. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Christophe Leguevaques : Le point de départ est un constat objectif : le gouvernement a dépensé 12 millions d’euros lors du « grand débat » destiné à éteindre la mobilisation des gilets jaunes mais ne trouve pas un centime pour organiser des débats autour du référendum d’initiative partagée (RIP). Or, le « grand débat » était une création de l’exécutif ne reposant sur aucun texte constitutionnel ou législatif, alors que le RIP est prévu par la Constitution (article 11).

Nous avons donc saisi le Conseil constitutionnel qui doit être le garant de nos libertés fondamentales. Rappelons-le, le pluralisme est un objectif à valeur constitutionnelle. Dans une décision du 18 septembre 1986 (décision n° 86-217, considérant n° 11) le Conseil l’a d’ailleurs rappelé en ces termes : «le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ».

Vous allez jusqu’à parler de « comportement déloyal de l’exécutif ». N’est-ce pas un peu fort ?

Non ! Alors que l’on peut acheter un billet de train en 3 clics, le site proposé par le ministère de l’Intérieur est volontairement complexe. Par ailleurs, les chiffres comparés de la médiatisation du « grand débat » et de celle de la procédure RIP sont sans appel. Début août, Le Média a réalisé une étude. Le journaliste a quantifié le nombre d’articles publiés dans la presse écrite sur l’une et l’autre procédure sur une même plage de temps. Verdict : 13 000 articles publiés sur le « grand débat » contre 500 sur le référendum d’initiative partagée !

A son tour, Arrêt sur images a analysé les 20h de TF1 et de France 2 les sept premiers jours du « grand débat » et les sept premiers jours de la procédure RIP. Là encore c’est sans appel. Du 15 au 21 janvier, France 2 a consacré de un à quatre sujets par soir au « grand débat ». A la date du 15 janvier, TF1 y avait déjà consacré pas moins de six sujets, puis a continué à un rythme d’un à deux sujets par soir les jours suivants. Pendant la première semaine du RIP au contraire, le sujet n’a été évoqué qu’une seule fois sur France 2 (le 18 juin). Sur TF1… rien !

Vous émettez également des propositions. Quelles sont-elles ?

Il faut permettre l’organisation d’un débat pluraliste. Nous proposons des solutions qui n’ont rien d’inédites ou d’abusives : elles sont inspirées de la pratique centenaire d’une campagne électorale respectueuse des principes de la déclaration des droits de l’homme de 1789 (liberté de pensée, liberté d’expression, égalité de traitement etc.)

Nous sollicitons par exemple que le gouvernement adresse à tous les électeurs inscrits sur les listes électorales une lettre les informant du RIP et expliquant comment on peut apporter son soutien (voie électronique, mairies). Nous proposons aussi que les collectivités locales consacrent au moins une pleine page d’information sur l’existence du RIP et sur les modalités de recueil des signatures, et qu’une fois par semaine, les journaux télé et radio consacrent du temps d’antenne à la procédure.

Nous aimerions également, comme pour une campagne électorale classique, que des débats contradictoires soient organisés à la télévision.

Revenons un instant sur la procédure en cours visant à faire annuler la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac vendu il y a quatre ans à un consortium chinois. Où en est-on ?

Avec les syndicats Solidaires et FSU, nous avons remporté une victoire importante devant la Cour administrative d’appel de Paris au printemps dernier. En effet, la procédure de sélection du repreneur a été annulée car Bercy n’avait pas respecté son propre « cahier des charges ».

La procédure d’appel d’offres était pourtant simple : à chaque étape, on éliminait des candidats et il n’était pas possible pour un candidat exclu de revenir par la fenêtre en faisant équipe avec un candidat passé à l’étape suivante. Mais comme, dès le départ, la candidature du consortium chinois Casil Europe était soutenue en haut lieu, Bercy a décidé de fermer les yeux sur une violation du cahier des charges. En septembre 2014, la candidature était portée par un consortium sino-canadien dont le principal animateur était la SNC LAVALLIN, qui exploitait en France une vingtaine d’aéroports régionaux. Les membres chinois du consortium étaient sans expérience dans le domaine aéroportuaire, mais apportaient la garantie financière exigée par le cahier des charges.

Mais, en octobre, la Banque Mondiale excluait toutes les sociétés du groupe SNC LAVALLIN des appels d’offres pour 10 ans. Cette décision, très rare, venait sanctionner de multiples dossiers de corruption impliquant ce géant canadien des services. Du coup, la SNC LAVALLIN disparaissait du consortium qui devenait 100 % chinois, et sans expérience dans la gestion des aéroports.

La Cour administrative d’appel a considéré que cette modification était significative et aurait dû conduire Bercy a rejeter la candidature chinoise qui avait perdu une partie de sa raison d’être. Reste qu’en prononçant la nullité de la procédure, le juge administrative ne pouvait pas prononcer la nullité du contrat. En effet, le contrat n’est pas de nature administrative car il s’agit d’un acte de droit privé.

Du coup, si le Conseil d’État vous suit et confirme le jugement de la Cour administrative d’appel, il faudra encore aller devant le tribunal de commerce pour annuler le contrat de vente. Le tribunal de commerce peut-il s’opposer à cette annulation ?

Nous avons déjà saisi le tribunal de commerce. Nos adversaires essayent de convaincre le tribunal que les syndicats ne sont pas recevables à demander la nullité. Mais si on suit ce raisonnement, cela voudrait dire que l’on donne force exécutoire à une décision annulée par la juridiction administrative suprême. Autrement dit, le vice l’emporterait sur le droit. Je ne veux pas croire que le tribunal fera droit à une telle demande.