Article originellement publié sur Marianne le 5/10/2019
Qu’est-ce que le populisme ? Plusieurs auteurs ont récemment tenté de répondre à cette question, du politiste allemand Jan-Werner Müller au jeune professeur de Harvard Yascha Mounk. Alexandre Devecchio entreprend à son tour de saisir le phénomène. Dans Recomposition le journaliste du Figaro résume le populisme en ces termes : c’est « la révolte des peuples contre la révolte des élites ». Des peuples et des élites qu’il pense réconciliables, à des conditions que tâche d’expliciter l’ouvrage
Populisme
Les thèmes de la « sécession des élites » et de la « trahison de la démocratie » ont été lancés dans le débat public par Christopher Lasch au milieu des années 90. Depuis, tout indique que ce sociologue américain avait été visionnaire. En Europe, la démocratie est entravée par ce que Devecchio appelle le « mur de Maastricht ». A l’annulation des référendums français et néerlandais en 2005 sont venues s’ajouter celle du référendum grec de 2015 et les difficultés du Royaume-Uni à mettre en œuvre le Brexit, pour cause de refus des parlementaires remainers d’accepter la victoire du leave.
Dans tous les pays occidentaux, le processus de métropolisation se poursuit. Les gagnants de la mondialisation, diplômés du supérieur et insérés professionnellement, se retranchent dans les grandes villes et se coupent de la « France périphérique ». Celle-ci subit en silence désindustrialisation, chômage et départ des services publics, ce qui génère un puissant sentiment d’abandon. L’insécurité économique, en somme, qui s’accompagne de l’« insécurité culturelle » liée à l’immigration et au défaut d’assimilation des populations d’origine étrangère. Le fait que Devecchio endosse – non sans courage – cette notion controversée lui vaudra sans doute des procès en sorcellerie. On l’accusera de « faire le jeu du Rassemblement national »…
L’auteur en a conscience et rectifie par avance : « Certains présenteront ce livre comme un plaidoyer pour le populisme. C’est qu’ils auront mal lu. Il s’agit avant tout d’un plaidoyer pour la démocratie. » De fait, son ouvrage, nourri de nombreuses lectures, aide à comprendre comment le processus démocratique a abouti au vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, à l’élection d’un Trump aux États-Unis, à celle d’un Orban en Hongrie et peut-être, bientôt, à celle d’un Salvini en Italie. Il donne également des clés pour élucider l’échec des « populismes de gauche », depuis la capitulation de Syriza en Grèce aux échecs électoraux récents de Podemos en Espagne.
Et si ces formations n’étaient que le dernier visage pris par le néolibéralisme pour se proroger ?
Quant aux populismes conservateurs, reste une question que l’ouvrage ne pose pas et qui mériterait de l’être. Et si ces formations n’étaient que le dernier visage pris par le néolibéralisme pour se proroger ? Les populistes sont « les vrais champions du “en même temps” » écrit le journaliste. Pragmatiques économiquement, ils se font tantôt protectionnistes, tantôt libre-échangistes. Ils peuvent prendre un jour des mesures sociales et le lendemain voter une flat tax. Certes. Mais on est en droit de juger que les mesures sociales sont bien timides, que les cadeaux fiscaux sont de trop et redouter que les « gens qui ne sont rien », après avoir placé de l’espoir dans ces leaders d’un nouveau genre, soient une nouvelle fois trahis.
Recomposition. Le nouveau monde populiste, d’Alexandre Devecchio, Cerf, 304 p., 19 €.