Coralie Delaume est morte, et la beauté de l’exigence est partie

Article publié originellement par Marianne le 15 décembre 2020. Auteur : David Desgouilles

Coralie nous a quittés. Oui, Coralie. Car si elle se prénommait Laura et que je le savais depuis fort longtemps, je ne parvenais pas à l’appeler autrement. Coralie Delaume, c’est comme Johnny Hallyday. On l’appelle avec son nom de scène. Et puis c’est tout. C’est à l’époque du Marianne2 de Philippe Cohen que j’ai fait sa connaissance. Nous avions chacun notre blog et nous pensions à peu près la même chose sur la politique, l’économie, la société. Elle venait de la rive gauche, je venais de la rive droite. Longtemps, elle avait gardé cet attachement à sa rive. Une amitié qui dure depuis plus de dix ans, faite d’encouragements mutuels, de confidences, de moments forts. Et de belles rigolades aussi.

UNE COMBATTANTE

Début septembre, elle était venue en Franche-Comté. Nous avions randonné sur les traces de Gustave Courbet remontant la source de la Loue et grimpé sur les Gorges de Nouaille. Même à l’occasion d’une rando entre deux amis, l’exigence de Coralie survenait. N’était-elle pas trop lente ? Ne me ralentissait-elle pas ? Et je devais la rassurer, alors que si elle n’avait pas eu en elle cette saloperie de cancer, je n’aurais jamais pu suivre le rythme de cet ancien officier qui avait crapahuté naguère en Côte d’Ivoire. C’était Coralie.

L’exigence avec elle-même. Exigeante au point d’être sévère. Très sévère. Sans doute trop sévère avec elle-même. Mais nous l’aimions ainsi. Nous l’admirions profondément. Elle savait être aussi exigeante avec ses amis. « À ton tour ! » m’avait-elle dédicacé son premier livre, après m’avoir présenté Yves Michalon, son éditeur. Mesure-t-on véritablement la chance d’avoir passé tant de temps à échanger avec une telle personnalité ? Mesure-t-on le privilège de vivre une amitié avec une si belle personne ? Oui sans doute. Mais peut-être pas assez. Toute à sa sévérité avec elle-même, Coralie ne mesurait pas toujours à quel point elle était admirée, combien ses articles étaient attendus, ses livres davantage encore, jusqu’à ses tweets malicieux qui claquaient comme le drapeau tricolore au vent. Elle ne mesurait pas à quel point elle constituait une boussole pour de nombreux lecteurs. Elle ne mesurait pas à quel point elle était crainte par ceux qu’elle combattait sur le terrain des idées.

À qui demanderons-nous maintenant de nous faire l’analyse du dernier sommet européen ?

Car Coralie était avant tout une combattante. Gérald Andrieu a déjà présenté dans ces colonnes l’innocente guerrière qu’elle était. Combien d’heures passait-elle à lire, à étudier, à préparer, avant de se rendre dans une émission ? Je crois avoir eu le malheur de lui dire un jour qu’elle était assez armée et qu’elle pouvait se ménager un peu. Il me semble aussi qu’elle m’ait répondu quelque chose comme ça : « Tu crois qu’on va dans ce genre d’émission avec sa bite et son couteau ? » Elle va nous manquer.
À qui demanderons-nous désormais de nous expliquer la dernière jurisprudence folle de la Cour de Luxembourg ? À qui demanderons-nous maintenant de nous faire l’analyse du dernier sommet européen ? À qui demanderons-nous dorénavant de nous traduire le sabir d’un communiqué de la BCE ? C’était si facile, avec elle. Il n’y avait qu’à lui demander. Elle avait déjà tout étudié. Un privilège pour les romanciers un brin paresseux.

Coralie avait évoqué en juin son sentiment de vivre le combat de la chèvre de Monsieur Seguin. Le loup allait bien finir par la manger, comme il nous mangerait tous, nous expliquait-elle avec ce sens de la formule qui ne l’a jamais quittée. Le loup nous l’a enlevée ce matin, du côté de Montélimar. Mon amie est partie et je pleure. Adieu Coralie, et donne le bonjour à Philippe Cohen de ma part.